Le 22 avril 2025, Antoine Degrémont est décédé à l’âge de 87 ans. Il a été directeur de l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH) de 1987 à 1997. Avec lui, nous perdons un homme clairvoyant, engagé socialement, un collègue respecté et un ami cher.

Dès son plus jeune âge, Antoine Degrémont savait qu'il voulait consacrer sa vie à la biologie. (Photo : R. Duerr, Swiss TPH)
La biologie et l’écologie sont littéralement tombées aux pieds d’Antoine (Tony) Degrémont. Le jeune Antoine se trouvait sur le court de tennis poussiéreux de Le Cateau-Cambrésis, une petite ville du nord-est de la France, en train de frapper des balles au-dessus du filet. Soudain, un scarabée sacré (Scarabaeus sacer) est tombé du ciel dans le sable rouge du court. Antoine l’a délicatement pris dans ses mains et a observé sous tous les angles sa carapace aux reflets bleutés. « À partir de ce moment, j’ai su que je voulais consacrer ma vie à la biologie », racontait Degrémont.
Le scarabée sacré se nourrit d’excréments d’animaux d’élevage. Il découpe de larges portions de crottin frais, les façonne en énormes boules – proportionnellement à sa taille – et les fait rouler péniblement sur le sol. Pour Degrémont, le scarabée représentait symboliquement sa propre vie : « Il faut vraiment pousser pour arriver à quelque chose », disait-il.
À 16 ans, Degrémont obtenait sa maturité. Fils d’un ingénieur, il voulait échapper à l’étroitesse de son milieu bourgeois et s’inscrire en biologie à Paris. Mais un ami de la famille conseilla un détour académique : selon lui, sans études de médecine, on ne pouvait pas devenir un bon biologiste. Degrémont ne s’y sentait pas à l’aise : « Tout reposait sur la compétition, pas sur la coopération », se souvenait-il. Une fois diplômé, une offre de poste de médecin en Iran résonna comme une promesse. On cherchait un médecin pour s’occuper de 700 ouvriers français travaillant à la construction d’une ligne ferroviaire dans le pays du Shah. En 1961, il s’installa dans un wagon de chemin de fer pour près d’un an, y installa un cabinet et soigna les ouvriers. Il y découvrit également les ampleurs des inégalités sociales. Il comprit que la santé dépend non seulement des microbes mortels ou gênants, mais surtout des origines sociales, des inégalités économiques et des décisions politiques. Il a ainsi toujours perçu la santé et la maladie comme des systèmes.
Le service militaire en France après son séjour en Iran ne fut qu’un court épisode dans sa vie. Le besoin de partir était dans sa nature. Il s’envola pour l’hôpital de Mossaka, au Congo-Brazzaville. La préfecture dont il avait la charge était aussi grande que la Suisse. Le travail à l’hôpital était épuisant et les services débordés. Degrémont était sollicité jour et nuit : il opérait, faisait des visites, formait le personnel local. Il parcourait la région en pirogue, soignait le paludisme et les pneumonies, et rencontrait des notables et des pêcheurs. « J’appréciais l’amitié et le respect mutuel avec la population locale, une amitié qui n’exigeait jamais que je change qui je suis ». L’hôpital manquait souvent de médicaments, mais aussi d’une cuisine pour nourrir les patients. C’est la population vivant aux alentours qui s’en chargeait, ou bien Degrémont lui-même, qui chassait le buffle le week-end avec les habitants locaux. Le départ du Congo fut un arrachement. En 1965, il retourna à Paris, obtint un diplôme en biologie (immunologie, parasitologie, bactériologie), et ouvrit un cabinet de médecine tropicale, tourné notamment vers la santé des personnes migrantes. Cependant, il ne se sentit jamais vraiment à son aise dans la capitale française.
Heureusement, Claude Lambert, le développeur d’Ambilhar, proposa Degrémont comme chef de projet pour le projet Mangoky (1966–1971) à Madagascar. Ce projet entreprit un vaste essai clinique dans une zone à haut risque de bilharziose, à Bas-Mangoky. La Direction du développement et de la coopération (DDC) accepta de financer cette initiative. L’exécution du projet fut confiée au Swiss TPH, alors dirigé par Rudolf Geigy.
En 1972, Rudolf Geigy fit venir Antoine Degrémont au Swiss TPH, d’abord comme chef de la recherche médicale, puis comme directeur du département de médecine. Sous sa direction, l’offre de services en diagnostic, conseil aux voyageurs et évaluation de projets se développa rapidement. Surtout, il sensibilisa ses collègues à la nécessité d’un changement de cap : passer de la recherche biomédicale pure à une approche de santé publique et de santé globale.
L’idéal de Degrémont était toujours une approche globale et systémique : cela incluait la collaboration avec les populations locales concernées, la formation du personnel à tous les niveaux, et la recherche interdisciplinaire. En 1987, il devint le troisième directeur du Swiss TPH et professeur extraordinaire à la faculté de médecine de l’université de Bâle. Il encouragea une hiérarchie horizontale. Dans la formation des professionnels de santé, il fixa de nouveaux objectifs, tant au niveau national qu’international, notamment pour la création et le développement d’institutions de recherche, de formation et de mise en œuvre en Afrique, comme à Ifakara , en Tanzanie, et à N’Djaména, au Tchad.
En 1997, Degrémont transmit la direction du Swiss TPH à son successeur Marcel Tanner, et devint le directeur enthousiaste du nouvel « Institut de la Francophonie pour la Médecine Tropicale » (IFMT) à Vientiane, au Laos. L’IFMT était un centre de formation unique dans un pays manquant d’experts locaux en santé. Chaque année, 15 à 20 étudiants du Laos, du Vietnam, du Cambodge et du sud de la Chine suivaient le programme de master « Santé tropicale ». Après leur formation, ils étaient capables d’assurer le suivi médical d’un district de leur pays. À l’IFMT, Degrémont introduisit parmi les premiers en santé globale de nouvelles méthodes pédagogiques numériques.
Après sa retraite en 2003, sa ferme Formelli à Petroio, en Toscane, avec ses 30 hectares de terres et de forêts, qu’il avait rénovée entièrement avec son épouse Christine dès 1988, devint le centre de sa vie. Ils cultivaient la terre aride, plantaient des oliviers et des noyers, et reboisaient. « Je suis un paysan, un aventurier et un bricoleur », disait-il en riant. Formelli Petroio représentait pour lui comme un retour tant attendu à ses racines. Degrémont a toujours su d’où il venait, sans jamais vivre dans le passé. Il vivait dans le présent et l’avenir, et nous a tous stimulés et portés loin. Ainsi, Antoine Degrémont vivra toujours avec et en nous.
L’après-midi du 22 avril 2025, au milieu de ses activités à Formelli, une vie riche s’est achevée.
Marcel Tanner
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Marcel Tanner
Professor, PhD, Epidemiologist, MPH
Director Emeritus
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